Janvier 1971 - Discussions L.O. - L.C.

PROTOCOLE D'ACCORD

LUTTE OUVRIÈRE

LIGUE COMMUNISTE

Ce texte signé par Lutte Ouvrière et la Ligue Communiste marquait l'aboutissement d'une série de discussions commencées plusieurs mois auparavant au printemps 1970, et destinées à explorer les possibilités d'unification entre les deux groupes.

 

La crise de mai-juin 68 a, une fois de plus, démontré l'impérieuse nécessité d'un parti ouvrier révolutionnaire, capable d'offrir aux travailleurs une autre perspective que la politique réformiste des organisations traditionnelles, politiques et syndicales, de la classe ouvrière française.

La Ligue Communiste et Lutte Ouvrière, conscientes que l'unification de leurs deux tendances pourrait constituer u n pas important vers la construction de ce parti, conscientes aussi de leurs responsabilités dans la période actuelle, ont, depuis six mois, engagé des discussions destinées à examiner les possibilités, les voies et les modalités de leur unification sur la base de leur acquis théorique commun, le programme de l'Internationale Communiste de Lénine et Trotsky, et celui de l'opposition de gauche au stalinisme, condensé dans le Programme de Transition de la Ne Internationale.

Compte tenu des divergences présentes existant sur certaines questions entre la Ligue Communiste et Lutte Ouvrière, les directions respectives des deux tendances ont, d'un commun accord, décidé de procéder en trois phases.

La phase exploratoire de ces discussions, qui prend fin par la rédaction du présent texte commun, a permis de faire l'inventaire de toutes les divergences, tant politiques que de pratique, existant entre les deux tendances. Si ces divergences ne sauraient être sous-estimées, ni passées sous silence, la Ligue Communiste et Lutte Ouvrière estiment cependant qu'elles sont compatibles, voire résorbables, dans le cadre d'une organisation commune.

La deuxième phase qui s'ouvre aujourd'hui, est une phase de vérification pratique. Celle-ci doit montrer la possibilité d'une activité commune de la Ligue Communiste et de Lutte Ouvrière, et donc la viabilité de l'organisation unifiée.

Premièrement, dans ce but, la Ligue Communiste et Lutte Ouvrière décident de coordonner une partie de leurs activités, pour mener en commun un certain nombre de campagnes.

Elles ont appelé ensemble à participer au rassemblement international des révolutionnaires à Bruxelles, les 21 et 22 novembre, "pour l'Europe rouge, contre l'Europe du capital".

Elles organiseront ensemble des campagnes ouvrières concernant l'augmentation non hiérarchisée des salaires, face à la politique de "défense de la hiérarchie" des grandes centrales syndicales, la dénonciation des conditions de travail et d'insécurité dans les entreprises, le scandale des transports en commun dans la région parisienne.

Les instances responsables, à tous les niveaux, de la Ligue Communiste et de Lutte Ouvrière, collaboreront afin de mettre ces accords en pratique.

Deuxièmement, au cours de cette période d'activité commune, et dès qu'il sera d'un commun accord possible de le faire en fonction du déroulement de ce processus, la Ligue Communiste et Lutte Ouvrière envisageront la fusion de leurs hebdomadaires respectifs, Rouge et Lutte Ouvrière, en un hebdomadaire commun, afin de vérifier, plusieurs mois avant que l'unification soit effective, les possibilités d'expression des deux tendances dans un journal unique, une telle collaboration préalable pendant un temps suffisant étant seule capable de vérifier concrètement ce que la Ligue Communiste et Lutte Ouvrière entendent par les droits et les limites de l'expression publique des tendances.

Parallèlement à ces activités communes, la Ligue Communiste et Lutte Ouvrière continueront leurs discussions afin de procéder à l'élaboration d'un programme commun d'unification, traitant de la situation politique française et internationale, ainsi que des statuts codifiant le fonctionnement de l'organisation unifiée.

Ces discussions seront publiques, et menées sous forme de réunions, de débats, de brochures communes, d'échanges d'articles, ou de tout autre moyen décidé en commun. Bien entendu, chaque tendance pourra donner l'écho de son choix à cette discussion dans sa propre presse indépendante (hebdomadaires tant qu'ils sont séparés, revues, brochures, etc...).

Si le test de l'activité commune se révèle positif, si l'édition d'une presse unique permettant la collaboration des deux tendances s'avère possible, et si le programme d'unification rencontre l'adhésion des militants des deux tendances, s'ouvrira, dans , des délais décidés d'un commun accord, la troisième phase au cours de laquelle le processus d'unification organique des deux tendances sera alors engagé, un congrès d'unification devant alors être convoqué.

Des discussions menées pendant la phase exploratoire, il ressort que les points suivants peuvent être retenus pour délimiter les grandes lignes concernant le fonctionnement et l'activité de l'organisation unifiée qui naîtra alors.

1 - L'organisation unifiée serait section française de la IV, Internationale. Les militants des deux organisations fusionnées participeraient à l'élaboration politique dans les organismes de direction de la Quatrième Internationale (Congrès mondial, Comité Exécutif International, Secrétariat Unifié), à la discussion internationale avec les organisations membres de la Quatrième Internationale, à la construction des sections de l'Internationale.

Sur la base de cet accord, le S.U. s'engagerait à ne pas modifier la direction de la section française démocratiquement élue lors des congrès. Il s'engagerait également à respecter l'orientation adoptée majoritairement lors des congrès et par les organismes de direction de l'organisation unifiée. Son représentant prononcerait une déclaration dans ce sens lors du congrès d'unification. Cet engagement serait publié en annexe aux statuts.

Il - Le fonctionnement de l'organisation unifiée serait régi selon les règles du centralisme démocratique; unité dans l'action, libre expression des tendances.

Les statuts de l'organisation unifiée prévoiraient la représentation des tendances minoritaires dans les organismes de direction. En particulier, le congrès d'unification déciderait la représentation proportionnelle des tendances Lutte Ouvrière et Ligue Communiste à tous les niveaux. Cette clause serait reconduite tant que subsisteront les deux courants comme tendances séparées au sein de l'organisation.

Le congrès de l'organisation unifiée déterminerait et voterait des orientations par secteurs d'intervention valables pour toute l'organisation.

Les tendances s'exprimeraient par le canal des publications de l'organisation unifiée, qui aurait fait la preuve pendant la période précédente de sa capacité à garantir leur libre expression.

En ce qui concerne l'expression publique des tendances dans la presse, une direction politique du journal serait constituée. Elle serait élue à la proportionnelle des deux tendances soumises au contrôle du Comité Central de l'organisation unifiée et chargée d'assurer un fonctionnement démocratique de la presse. La minorité jouirait automatiquement dans chaque numéro de l'hebdomadaire, d'un certain nombre de pages dont elle serait libre de disposer chaque semaine. Par ailleurs, la direction du journal serait responsable pour s'entourer de collaborateurs souhaitables à la bonne marche d'une presse révolutionnaire régulière, et pour constituer un comité de rédaction sans distinction de tendances, ce qui implique la participation des militants des deux tendances à ce comité de rédaction.

La même procédure serait valable dans la (ou les) revue (s). Par exemple, la minorité disposerait de quatre ou cinq pages ou d'un article automatiquement à chaque numéro.

A cette discussion normale, ainsi codifiée, que la minorité serait libre de mener ou pas, s'ajouteraient les discussions nationales de toute l'organisation sans préjuger des tendances qui pourraient se former. Celles-ci prendraient place dans des tribunes de discussion dont le volume serait fonction des circonstances (question politique particulière, préparation de conférence ou de congrès, etc...).

Au niveau public, lorsque les sujets traités exigeraient plus de développement, l'édition de bulletins de discussions serait entreprise sans limitation a priori de la place. Ces bulletins se présenteraient, au libre choix des deux tendances impliquées dans la fusion, soit sous forme de discussion entre les deux tendances impliquées dans la fusion, soit comme la présentation unique d'une position. Ils seraient vendus publiquement.

Pour le bulletin intérieur, qui serait diffusé régulièrement à l'intérieur de l'organisation unifiée, une direction paritaire -avec égale représentation des deux tendances- assurerait sa confection et sa diffusion.

111 - Le travail d'implantation dans la classe ouvrière, à la fois syndical et politique, constituerait l'axe d'activité déterminant de l'organisation unifiée; il impliquerait que l'essentiel des effectifs soit consacré à ce travail.

Cependant l'organisation unifiée interviendrait dans tous les milieux. Pour chacun d'eux (ouvriers, jeunesse, paysans, enseignants, etc.) la répartition des forces serait du ressort des directions à tous les niveaux, en application des orientations définies au congrès et de l'axe prioritaire défini ci-dessus.

IV - La cellule serait l'organisation de base de l'organisation unifiée. Dans leurs secteurs respectifs d'activité, les cellules interviendraient selon les orientations définies par les instances de direction.

Les cellules éliraient dans des congrès des directions de section, de ville, de région, qui contrôleraient leur activité.

L'affectation de nouveaux adhérents serait décidée en dernière instance par les directions correspondantes, après consultation du militant et de la cellule concernée. Les militants des deux organisations fusionnées ne seraient pas déplacés de leur milieu d'intervention antérieur à la fusion, sauf accord des deux tendances.

V - L'implantation révolutionnaire dans les entreprises nécessiterait à la fois une apparition politique autonome de l'organisation unifiée par une intervention régulière de ses cellules ouvrières, et une activité régulière des militants ouvriers révolutionnaires dans les syndicats, particulièrement dans la C.G.T.

La Ligue Communiste et Lutte Ouvrière sont conscientes qu'elles ont souvent mené des expériences différentes dans ce domaine, mais elles estiment que leur accord politique sur les thèmes de ce travail d'implantation permettrait de réaliser une synthèse des différents points de vue, afin de développer et de renforcer l'organisation unifiée.

Ligue Communiste Lutte Ouvrière