EXPOSES DU CERCLE LEON TROTSKY
PALAIS DE LA MUTUALITE - PARIS
Xe
ANNIVERSAIRE DE
L'INSURRECTION
HONGROISE
24 OCTOBRE 1966
INTRODUCTION
Il y a
dix ans, date pour date, la capitale hongroise, Budapest
s'est réveillée le matin au crépitement des mitrailleuses, au grondement des canons, au bruit des
chaînons des chars d'assaut.
Il y a dix ans, la nuit du 23 au 24 octobre 1956, les unités de l'armée soviétique se sont ébranlées pour
une première fois afin d'écraser,
avec l'aide de la police politique hongroise se, l'insurrection populaire qui venait de se déclencher quelques
heures plus tôt.
11 y a dix ans,
"l'Humanité" titrait : "Graves émeutes contre-révolutionnaires mises en échec à Budapest".
Dix ans ont passé depuis. Aujourd'hui, chacun commémore à sa façon.
Les staliniens, en se taisant. Car à une époque où
"l'Humanité" indignée refuse la dénomination socialiste à la
Chine vues les exactions et les violences que les
Gardes Rouges y commettent, il
serait mal venu de rappeler avec quelle violence l'armée soviétique est intervenue contre une insurrection populaire.
Les compagnons de route
déplorent les événements de 1956.
Car ces événements cadraient très mal avec
les judicieuses théories sur la
libéralisation considérable intervenue en URSS depuis la mort de
Staline.
Les fascistes commémorent
aussi et ce sont sans doute eux qui sont les plus tapageurs,
il n'y a qu'à voir leurs affiches couvrir
les murs de Paris. Et tous les autres, ceux qui pendant que les troupes russes se chargeaient de la
Hongrie, envoyaient leurs troupes à
Suez, tous ceux qui ont applaudi, dirigé
les massacres en Algérie, au Vietnam, à Saint-Domingue, au Kenya ou
ailleurs.
Tous ces gens trouvent le ton
indigné qui convient pour
dénoncer les massacres à condition qu'ils
aient lieu au-delà du rideau de fer,
à condition qu'ils soient perpétrés par l'armée soviétique.
L'insurrection hongroise, il
va sans dire, n'a pas besoin de tels défenseurs.
Quant à nous, nous devons
commémorer en essayant de comprendre et en en tirant
leçon. La propagande des ennemis déclarés
de la
révolution comme la propagande de ses soi-disant amis a également contribué à en donner une image fausse.
Ceux-là mêmes qui essayent de
comprendre honnêtement ce
qui s'est passé à Budapest restent
prisonniers des schémas. Insurrection
d'un peuple unanime et homogène derrière Imre Nagy contre les envahisseurs soviétiques, voilà un schéma
qui, pour être répandu, n'en est pas
moins peu conforme à la vérité.
Une révolution est toujours bien plus complexe que cela. Ce qui caractérise en premier lieu une période insurrectionnelle, c'est que l'appareil d'Etat en place relâche
son emprise sous les coups des
masses armées. Les différentes forces sociales dont
l'opposition et la lutte sourde sont comprimées et masquées par l'appareil d'oppression qu'est l'Etat, sont mises à nu. Les différentes tendances politiques du pays
apparaissent au grand jour, et se
combattent ouvertement. C'est précisément la dynamique de cette lutte qui détermine la marche de la révolution.
Or il est impossible de comprendre cet enchevêtrement de forces sans remonter à l'origine des Démocraties Populaires, et en particulier sans avoir analysé la nature de
l'Etat auquel les insurgés hongrois
s'attaquaient.
DE LA GUERRE
A LA GUERRE FROIDE
NAISSANCE D'UNE DEMOCRATIE POPULAIRE
Nous
avons traité ici même il y a quelques mois de la structure
sociale des Etats des Démocraties Populaires. Si nous reprenons aujourd'hui, ne serait-ce que d'une manière succincte l'histoire de la mise en place de l'Etat
hongrois, c'est que sans la
compréhension de cette période essentielle, la signification
de la révolution risque de nous échapper.
La Hongrie d'avant guerre était
un pays sous-développé,
avec tout ce que cela signifie sur le plan
économique, social et politique :
- Archaïsme de l'agriculture
avec la survivance d'immenses domaines féodaux et avec
l'existence d'un prolétariat agricole constituant 42% de la population.
- Faiblesse
de l'industrie dominée par les capitaux étrangers, en
particulier allemand, et partant de là, faiblesse de la bourgeoisie nationale, étouffée entre une classe
féodale encore trop puissante et une
classe ouvrière déjà trop forte pour elle.
-
Instabilité d'une société minée par toute une série de contradictions aigus, explosives, dont l'équilibre
ne pouvait être maintenu tant bien
que mal que sous la pression d'une dictature
militaire, celle de Horthy, émanation du pouvoir politique des classes
féodales.
La guerre a donc trouvé un
pays en proie à des problèmes économiques et sociaux
insolubles qui n'auraient pas tardé à aboutir à une explosion.
Cette guerre, si elle a retardé
cette explosion, a encore
aggravé les problèmes. Pour l'Etat
bourgeois, il n'était pas question de
résister à la machine de guerre allemande, d'autant moins que, contrairement à la Pologne ou la
Tchécoslovaquie, il n'était pas
directement menacé de destruction par elle. Entrée en guerre du côté de l'Allemagne, la Hongrie en
est restée l'alliée jusqu'aux
derniers jours. Ce faisant la bourgeoisie hongroise exsangue a définitivement capitulé devant l'impérialisme allemand, infiniment plus fort, infiniment plus
dynamique. L'industrie et le
système bancaire hongrois sont tombés, quelques secteurs
marginaux mis à part, sous le contrôle, sinon en la possession totale des capitaux allemands.
L'appareil d'Etat lui-même, après avoir été de plus en plus contrôlé, a été purement et simplement pris en charge dans nombre de ses fonctions aux derniers moments de la
guerre par l'appareil allemand
méfiant vis-à-vis de ses meilleurs alliés,
Autant
dire que l'effondrement allemand a laissé un appareil d'État disloqué,
une économie désorganisée, une bourgeoisie nationale
habituée à un rôle secondaire
dans l'économie et l'Etat et qui
ne pensait qu'à sauver ses capitaux et se sauver elle-même vers
l'Occident.
Et face à ce vide, l'énorme masse paysanne déshéritée, affamée de terre, et une classe ouvrière concentrée, combative, forte de l'expérience de la révolution de 1919.
Rappelons d'ailleurs que cette situation n'était pas seulement
celle de la Hongrie, mais aussi celle de tous les pays d'Europe Centrale.
Fin 1944, l'armée russe est
entrée dans un pays en effervescence. Dans cette période de crise, et
une chance unique s'est présentée au prolétariat pour briser les restes
affaiblis de l'Etat bourgeois et pour établir son pouvoir de
classe, l'armée rouge aurait pu
faire appel à l'énergie révolutionnaire des masses, aider le prolétariat hongrois à constituer ses organisations de classe, l'aider à accomplir sa tâche
historique. Rien n'aurait pu alors
empêcher le prolétariat hongrois de renouer
avec la Révolution de 1919, et, en tirant leçon des erreurs entraînant l'échec de celle-ci, prendre sa
part dans le combat du Prolétariat
international.
Cependant
l'armée russe en 1944 n'était plus l'armée de la révolution
victorieuse de 1917, mais celle d'une bureaucratie contre-révolutionnaire.
Cette bureaucratie ne craignait rien de plus qu'une
révolution prolétarienne, tout autant que ses frères d'armes impérialistes. Dès le tournant de la guerre, dès que les armées allemandes commencèrent à refluer,
la même crainte habita les maîtres
du Kremlin et les impérialistes : celle de voir déferler sur l'Europe et sur le monde une vague révolutionnaire semblable à celle qui suivit la première
guerre mondiale, mais d'une tout
autre ampleur, d'une tout autre efficacité.
En
prévision d'une telle vague révolutionnaire, impérialistes et bureaucrates, laissant au second plan leurs antagonismes propres, ont préparé sciemment l'après-guerre.
La Sainte alliance
contre-révolutionnaire consacrée par les accords de Téhéran et de Yalta, si elle représentait aussi
un compromis entre les intérêts
divergents de la bureaucratie et de l'impérialisme, était surtout dirigée contre le prolétariat. Dans ce cadre, la bureaucratie s'est chargée de remettre
au pas les classes ouvrières
occidentales par l'intermédiaire des Partis Communistes nationaux, mais aussi d'intervenir directement pour prévenir toute velléité révolutionnaire dans sa
propre zone d'influence. Or en vertu
des accords et en conséquence du déroulement
de la guerre, en Hongrie le rôle de gendarme échut à l'armée russe. Dans les Démocraties Populaires en
général et en Hongrie en
particulier, il échut à l'Armée Rouge de mettre fin au dangereux vide étatique et de prévenir ou d'endiguer le mouvement populaire en mettant en place un
appareil d'oppression, c'est-à-dire
un appareil d'Etat.
Même l'historien
social-démocrate François Fejtö, qui n'a assurément rien
d'un révolutionnaire, constate dans son livre sur la révolution
hongroise que...
"...
La Hongrie se trouvait à la libération dans un état d'effervescence frôlant la guerre civile... Les régimes d'après-guerre en Europe Centrale se sont presque tous
établis sur ce que j'appellerais un refoulement
de guerre civile. Un refoulement,
oui, car la, révolution politique et sociale aurait éclaté sans la présence de
l'Armée Rouge."
Le même Fejtö fait d'ailleurs
état dans son livre d'une déclaration de Mathias Ràkosi, premier
secrétaire du P.C.H. et futur Staline de la Hongrie, où celui-ci affirme que
c'est la présence des troupes soviétiques qui permit
d'éviter la guerre civile.
Sur quels éléments de la
population l'armée russe s'est-elle appuyée pour rétablir
et renforcer l'appareil d'Etat anti-prolétarien
? En Hongrie, il n'existait même pas une résistance intérieure comparable à celle de la
Tchécoslovaquie par exemple, ni des
hommes politiques du genre de Bénès, pour permettre la formation d'un gouvernement bourgeois certes,
mais au moins de coloration
"anti-fasciste". II n'existait même pas la possibilité d'un paravent qui, dans d'autres pays a permis
aux Partis Communistes de justifier
leur politique anti-ouvrière par les nécessités d'une union des démocrates contre les fascistes. Alors, à défaut des Bénès, et parce qu'il ne fallait pas
laisser le pays un instant de plus
sans gouvernement légal, on a fait appel à des gens qui, quelques mois auparavant occupaient les plus hautes fonctions du régime Horthy, celui même qui
après avoir institué sur les ruines
de la révolution de 1919 la première dictature
militaire d'Europe, après la première guerre mondiale, fut le plus fidèle allié de l'Allemagne
hitlérienne.
Alors qu'à l'approche de l'armée soviétique, les paysans se sont mis à partager les terres, les ouvriers à occuper les usines, le premier soin de l'armée soviétique fut
de mettre
fin à la vacance de l'appareil
d'Etat, en commençant par constituer un gouvernement où, sous
la présidence d'un général horthyste, Miklosi, passé aux russes aux derniers
moments de la guerre, participaient notamment l'ancien chef
d'état-major de Horthy, un général
de gendarmerie et un comte possesseur de plusieurs milliers
d'hectares...
Ainsi de Horthy à Ràkosi, par
l'intermédiaire du général Miklosi, grâce au soutien
de la bureaucratie soviétique, la continuité de l'Etat en Hongrie fut
assurée.
Dans ce remassis de ci-devant généraux, comtes ou chefs gendarmes, les dirigeants du P.C. ont trouvé leur place. Et pour cause, car quelles qu'aient été les illusions
des ouvriers à l'égard d'un parti
qu'ils croyaient le leur, quelles qu'aient été les convictions de certains
militante qui ne tardèrent d'ailleurs pas à être
évincés, aucun clivage de classe ne séparait le P.C. des
autres partis bourgeois. Bourgeois par son programme
et par sa fonction anti-ouvrière, petit-bourgeois par sa composition et par la mentalité de ses
dirigeants, le P.C. ne différait des
autres partis que par sa dépendance vis-à-vis de Moscou. Mais dans les conditions de l'époque, vu la politique contre-révolutionnaire de la bureaucratie, cette
dépendance même le rapprocha des
autres partis bourgeois.
Quoique persécutés, emprisonnés
et torturés la veille encore par ceux-là mêmes avec qui ils siégeaient maintenant
au gouvernement, les dirigeants staliniens surent
alors faire cause commune avec les
éléments les plus réactionnaires du régime horthyste, - avec ceux tout au moins qui n'eurent pas l'occasion
de se sauver en occident avec les Allemands
- pour dissoudre les comités
nationaux de composition ouvrière et paysanne, pour briser toute tentative d'organisation autonome du
prolétariat, pour faire la chasse aux
éléments révolutionnaires y compris et
jusque dans ses propres rangs (en
particulier à tous ceux
qui avaient participé à la révolution de
1919). En réorganisant rapidement
les forces de la police et de l'armée, en consolidant le gouvernement bourgeois, les partis
réactionnaires et le P.C. ont bien
fait oeuvre commune pour rétablir l'Etat bourgeois. Cet appareil d'Etat bourgeois a pris entre 1945 et
1948 l'initiative de nombreuses
transformations parfois très importantes dans les domaines économiques et sociaux. Parmi elles, la plus importante est sans doute la réforme agraire qui,
tout en réalisant le voeu séculaire
de la paysannerie pauvre, a éliminé les
seigneurs féodaux et les propriétaires terriens en tant que classe. Une autre réalisation importante fut
la nationalisation de près de 2/3
de l'industrie et de la totalité de l'industrie lourde et du système bancaire.
Mais il ne s'agit là nullement de transformations socialistes. La réforme agraire, mesure démocratique bourgeoise par excellence, n'a trouvé pratiquement aucun
adversaire déclaré dans les partis
de coalition qui dirigeaient le pays pendant cette période. La nationalisation, quant à elle, a été imposée par les circonstances. Tous les partis bourgeois, y compris le P.C., étaient partisans de remettre les usines
- mises à part celles de quelques
secteurs clef - aux patrons "patriotes" qui n'étaient pas trop compromis par la collaboration
avec les Allemands. Mais avant la
guerre déjà les secteurs les plus importants appartenaient aux capitaux étrangers. Et la squelettique bourgeoisie d'avant-guerre, qui même en sa totalité
n'aurait pas été capable de faire
marcher l'industrie, ne faisait guère confiance à un Etat patronné par l'Armée Rouge, et préférait se sauver avec ses capitaux sous d'autres cieux. Et même
parmi les quelques bourgeois"patriotes"restés
dans le pays, malgré les offres tentantes
et les avantages multiples, il y en avait bien peu pour se mettre sérieusement au travail.
Avec la pensée "après nous le déluge", ils
préféraient faire fructifier leur argent par des spéculations
sur le marché noir, assurément plus
rentable, avec la ferme intention de suivre tôt ou tard leurs congénères partis à l'Occident.
Cet
état de chose était d'une évidence aveuglante même pour les partis de droite de la coalition, et la plupart des nationalisations ont été admises par l'ensemble des
partis de la coalition comme
nécessaires dans l'intérêt du redémarrage de l'économie.
Nous
ne nous étendrons pas plus longuement sur les réalisations économiques de la période, quoique pour bien des soi-disant
"théoriciens" de
l'extrême-gauche, c'est l'addition d'un certain nombre de réalisations de ce genre qui fait de la Hongrie
un Etat ouvrier sinon socialiste.
Mais rappelons-nous que toutes ces réalisations
n'étaient que des sous-produits de l'Etat bourgeois rebâti pendant cette période. Sa tache
primordiale, centrale, était
politique : écraser le prolétariat, écarter le danger révolutionnaire.
Au sortir de la période, la bureaucratie russe pouvait donc se flatter d'avoir écarté le danger révolutionnaire. Mais c'était au prix de la reconstruction et du
renforcement d'appareils d'Etat bourgeois nationaux qui, quoique unis à la
bureaucratie dans son combat contre le prolétariat, lui
étaient par leur nature même
foncièrement hostiles.
Et
quand la fin du danger révolutionnaire a remis au premier
plan l'antagonisme entre l'impérialisme et la bureaucratie' cette
dernière s'est heurtée aux appareils d'Etat qu'elle avait contribué à renforcer et qui maintenant voulaient
échapper à son contrôle. Le début de
la guerre froide a marqué l'étape de cette évolution.
ETAT DANS L'ETAT
Sous peine de se voir entourée
par une ceinture d'Etats
hostiles, sous le contrôle de
l'impérialisme américain, de plus en
plus vindicatif, l'URSS devait mener une dure lutte pour maintenir sa mainmise sur les Etats qu'elle
considérait comme son glacis. Son atout dans ce combat était bien entendu la présence de ses troupes dans les pays en question et de fortes polices politiques qui étaient entièrement sous son
contrôle des le début.
La
police politique hongroise, l'AVH comptait vers le début des années 50 jusqu'à 100 000 membres (pour un pays d'à peine plus de 9 millions d'habitants), elle était
équipée du matériel le plus moderne,
et prenait ses ordres directement à Moscou
sans passer par les rouages de l'appareil d'Etat national ; ses membres, grassement payés, étaient d'une
fidélité à toute épreuve.
A l'aide de son appareil de répression, la bureaucratie russe s'attaquait aux partis les plus susceptibles de se tourner vers l'Occident qu'elle élimina un à un, en
utilisant tous les mayens à sa
disposition : mensonges, calomnies, provocations, arrestations arbitraires, épurations, procès
bidons. Avec la fusion imposée du
Parti Socialiste et du Parti Communiste, en juin 1948, l'évolution arrivait à son terme : le système du parti
unique était né.
L'économie ne pouvait que
suivre la politique. Comme la présence de l'armée russe
sur le sol des Démocraties Populaires rendait
impossible pour l'impérialisme américain de retrouver son influence sur ces pays par les moyens
politiques - à moins d'une troisième
guerre mondiale - celui-ci choisit le terrain économique. Le plan Marshall était l'arme principale de cette offensive économique. Ce plan était trop tentant
pour les dirigeants des Démocraties
Populaires, y compris pour les dirigeants
des P.C., pour que la bureaucratie russe puisse tolérer trop longtemps des relations économiques libres
entre les pays du
glacis et l'Occident. Parallèlement à l'élimination des partis bourgeois, les frontières économiques furent fermées, le monopole du commerce instauré, la
nationalisation achevée. Le bloc
économique imposé aux pays de l'Est n'était que le pendant de ce qu'a réalisé l'impérialisme américain
dans son propre camp. C'était une nécessité dans les conditions
de la guerre froide. Cependant la
lutte de la bureaucratie pour le contrôle des pays du glacis ne s'est pas terminée pour autant. En l'absence d'autres canaux, les intérêts nationaux se
manifestèrent par l'intermédiaire du
P.C. Car la dépendance du P.C. vis-à-vis
de Moscou était tout aussi
"contre-nature" que celle de l'appareil
d'Etat. Organisation bourgeoise par son recrutement et par son programme, nationale et même nationaliste à l'égard du "grand pays frère", même si ce nationalisme que
les occupants eux-mêmes exacerbèrent
contre l'Occident ne pouvait se manifester ouvertement contre l'URSS.
L'exemple yougoslave était probant
pour la bureaucratie du Kremlin ; ces
états bourgeois du glacis, même sous la direction exclusive d'un P.C., ne tarderaient pas à rompre avec l'URSS à moins d'une pression constante de la part de celle-ci.
Aussi le combat contre le
titisme, qui était la manifestation des velléités
d'indépendance des Etats nationaux par l'intermédiaire
des P.C. même, fut de 1949 à 1953 la tâche principale de la bureaucratie
soviétique.
Pour reprendre
l'expression d'un ancien membre du P.C. arrêté avec
Rajk, échappé par miracle à l'exécution et qui, réfugié en Occident après 1956, a publié ses
mémoires sous le pseudonyme de Vincent
Savarius, on pouvait parler d'un véritable "État dans l'Etat".
L'appareil d'Etat dont les leviers de commande étaient déjà aux mains des membres du Parti, était à son tour contrôlé de l'intérieur par un noyau, constitué par les
agents russes du NKVD, par
la police politique (l'AVE) sous les ordres de ce même NKVD,
et par un
certain nombre de staliniens "moscovites" d'une fidélité à toute épreuve à l'égard de leurs
maîtres du Kremlin, tels pour ne
citer que les plus connus et les plus haïs
: Ràkosi, Gerö, Mihaly
Farkas et son fils Wladimir, Peter
Gabor, chef de
l'AVH, etc. Cet "État dans l'Etat" ne
parvenait à contrôler l'appareil
d'Etat national qu'au prix d'une terreur des plus sanglantes, non seulement à l'égard de la population, mais jusqu'à et y compris contre les plus hauts dignitaires de ce même appareil d'état. L'aspect le plus connu
fut la lutte à mort des "moscovites",
c'est-à-dire de ceux qui passèrent l'entre-deux-guerres en Russie et en qui la bureaucratie soviétique avait confiance, et les staliniens dits
nationaux, c'est-à-dire les
dirigeants qui restèrent en Hongrie en clandestinité pendant cette période et qui pouvaient être
soupçonnés d'avoir à coeur les
intérêts nationaux (ce qui n'était d'ailleurs pas nécessairement vrai).
L'épisode le plus connu fut le
procès Rajk, une des figures les plus populaires du Parti, ancien de la
guerre d'Espagne, dirigeant du parti
clandestin, et ministre de l'Intérieur quelques mois avant son arrestation. Après un procès monstre où il s'accusa d'être un espion à la solde de Horthy,
de Truman, de Tito, fasciste et
trotskyste, il fut pendu. Il sera réhabilité peu avant la révolution. Son procès fut suivi d'une vague d'épurations dans les rangs du parti. Son successeur au Ministère de l'Intérieur, Kadar, fut à son tour arrêté
quelques mois plus tard, torturé et
emprisonné.
Même lutte de la bureaucratie soviétique pour le contrôle de l'armée. Le chef d'état-major communiste de
l'après guerre, Palfy-Osterreicher
fut condamné à mort en même temps que Rajk. Son successeur eut le même sort un an après : il fut arrêté pour conspiration titiste en compagnie d'une
centaine d'officiers. La direction
de l'armée n'a trouvé une certaine stabilité qu'au moment où les Russes ont nommé à la tête de l'état-major un général russe d'origine hongroise,
homologue en Hongrie du Polonais Rokossovsky.
Cette lutte sanglante au sein
de l'appareil d'état, des
organisations du parti, du syndicat, de
l'armée, jamais finie et
continuellement recommencée, s'est déroulée devant une population terrorisée, réduite au silence par une
dictature féroce. Aucune classe ou
couche de la société n'avait échappé à la terreur, chacune avait de multiples sujets de mécontentement.
La classe ouvrière, dont tant
d'éléments avaient mis
leur espoir dans le nouveau régime qui se réclamait d'elle, s'est trouvée sous la férule d'une oppression qu'elle n'avait jamais connue, pas même aux pires moments du
régime de Horthy. Rien ne change ce
fait, pas même que la couche dirigeante ait favorisé l'ascension individuelle de certains ouvriers ou qu'à l'entrée des facultés priorité fut donnée aux fils
d'ouvriers et de paysans pauvres.
Maigre consolation pour la classe ouvrière de savoir que certains de ses propres fils avaient le droit et la possibilité de devenir ses pires oppresseurs !
Aucun gouvernement n'a réussi à
faire travailler avec autant d'efficacité les ouvriers, ni à accroître la production à une telle vitesse, malgré la gabegie de l'organisation bureaucratique
de la production, en soutirant le
maximum des travailleurs.
Dans ce pays, pendant
qu'affiches, journaux, brochures, discours
proclamaient le pouvoir des travailleurs, le seul droit dévolu aux ouvriers qui était en même temps une
obligation absolue, impérative,
était de produire, toujours plus. Produire car, comme disait la propagande officielle, "travailles, tu travailles
pour toi-même".
Les normes de travail augmentaient d'année en année,
sinon de mois en mois, et les cadences de travail avec.
Le régime a imposé suivant le modèle
soviétique le mouvement stakhanoviste. Quelques
ouvriers d'élite, travaillant sur des machines neuves, ayant à leur disposition plusieurs manoeuvres qui
leur passaient les pièces,
réalisaient des 800%, voire 1000% de leurs plans de travail. Leur exemple répété à longueur de
colonne dans les journaux devait
inciter les autres ouvriers à faire de même, sans aide, sur de vieilles machines. Des
concours de production furent
instaurés entre usines, entre ateliers, entre brigades. Pour gagner ces concours, pour dépasser les
plans, les ouvriers offrirent
"volontairement" de rester le soir ou de venir le dimanche. Ils offrirent tout aussi
"volontairement" de travailler
sans être payés en dehors des heures
normales pour accomplir avant date leur plan, à l'occasion de
l'anniversaire de Ràkosi, de Staline
ou de telles autres fêtes, et les fêtes ne manquaient pas.
Par ailleurs, tout acte nuisible à la bonne
marche de la production, volontaire ou involontaire, était considéré comme sabotage, donc comme un acte politique et puni comme tel. Quelques
pièces ratées pouvaient conduire à la
prison, si ce n'est à la torture afin que l'ouvrier fautif avoue pour le compte de
qui il avait saboté. Les directeurs, les
cadres techniques menacés
d'épuration en cas de retard sur le plan, répercutaient leur terreur sur les ouvriers. Un vaste système policier
avec ses mouchards, ses moyens de répression enveloppait l'usine.
Les salaires étaient bas et la vie chère. D'autant plus
que l'Etat émit régulièrement des emprunts forcés, de
montant allant jusqu'au dixième des salaires.
Face à tout cela, l'ouvrier n'avait aucun moyen de défense.
Le syndicat était un des rouages de l'Etat
et son statut précisait que son
devoir principal était : "d'organiser et d'étendre l'émulation socialiste des travailleurs, de
combattre pour une meilleure organisation
du travail, pour le renforcement de la discipline,
pour l'amélioration de la qualité de la production, la diminution des prix de revient et des déchets,
et pour l'augmentation de la
productivité".
La grève était interdite, sous peine de prison, mais ses organisateurs pouvaient être accusés d'activités subversives et
donc être passibles de mort.
Le prolétariat se défendait
comme il pouvait. Par la migration d'une usine à l'autre, par la
"débrouille" individuelle. Mais quoique
réduit au silence, sa haine augmentait d'année en année, jusqu'à
l'explosion de 1956.
La paysannerie quant à elle, put se considérer pendant quelque temps comme un des grands bénéficiaires du régime. Elle a vu se réaliser son rêve séculaire : elle a eu la
terre. Mais quelques années à peine après la prise de possession, sur ordre de Moscou, l'Etat
entreprit la collectivisation forcée. Rien n'était mûr pour une telle transformation de la campagne : la mécanisation était insuffisante et les cadres, les
techniciens manquèrent. Les paysans
opposèrent une résistance farouche à cette mesure, qui pour eux n'était rien d'autre que la reprise pure et simple de
leurs terres, ces terres si longtemps désirées et depuis si peu de temps
acquises.
Une vague de terreur déferlait à la campagne où les
récalcitrants furent déportés en masse. En l'espace de quelques années le
régime qui aurait pu trouver en la paysannerie une base sociale solide, en fit
un ennemi.
C'est d'ailleurs pour cette raison - ajoutons-le entre
parenthèses - que les staliniens nationaux, qui espéraient précisément trouver
en cette paysannerie une base sociale sans laquelle il n'était pas possible
d'échapper à l'emprise soviétique, s'opposaient au sein de la couche dirigeante
à un acte "gratuit" à leurs yeux, et dangereux quant à l'avenir.
La petite bourgeoisie intellectuelle, ses couches inférieures
mises à part, était dans un certain sens une des catégories privilégiées du
régime. Mais ce régime demandait une servilité absolue, l'abandon de toute
opinion individuelle et la soumission totale. Si pour certains de ces
intellectuels les conditions de vie confortables, les hauts salaires et la
large diffusion de leurs oeuvres valaient bien quelques poèmes à la gloire de
Staline et de Ràkosi, ou une louange à l'égard de la biologie Mitchourinienne,
d'autres, par leur fonction d'intellectuels mêmes, souffraient plus que
quiconque du manque de liberté d'opinion et d'expression. Et c'est cette couche
qui, en y incluant les étudiants, sera à l'origine de l'effervescence précédant
la révolution.
Même la couche dirigeante et les hauts cadres de l'appareil
d'Etat, police et armée, n'étaient pas unanimes pour trouver le régime idéal.
Quoique les membres de cette couche dirigeante vivaient dans une opulence
révoltante, possédant voiture, chauffeur, magasins, hôpitaux et écoles
spéciaux, plages privées protégées par des barbelés, bon nombre d'entre eux
auraient voulu donner une base plus solide à ces privilèges que la faveur
changeante de Moscou. Le chemin était court des villas somptueuses aux caves
de torture et parfois au poteau d'exécution. Le désir manifesté ouvertement
aujourd'hui par des Ceaucescu de rester maître chez soi existait sans doute
chez de nombreux dirigeants du Parti. Et ce désir fut partagé par la quasi-totalité
des cadres de l'armée, de la police, dont l'enthousiaste fidélité à l'égard de
la Russie était certainement mêlée à bien des arrière-pensées et devait
beaucoup à la menace constante d'une balle dans la nuque.
Nonobstant l'unanimité de façade, les votes à 99% en faveur
des candidats officiels, les manifestations monstres, la claque et les hourras
pour les dirigeants bien-aimés, le régime était miné par des contradictions
sociales aiguës, soumis à la pression latente pour ainsi dire de toutes les
couches sociales. Le régime ne pouvait vivre que grâce à une terreur de plus en
plus exacerbée, frappant aveuglément, grâce à l'omniprésence et à la toute
puissance de l'AVE dont personne n'était à l'abri, pas même les dirigeants.
Certes, toutes ces forces qui cherchaient à agir sur
ou contre le régime Ràkosi-Gerö-Farkas et consorts n'agissaient pas toutes dans le même sens, loin
de là. Sans parler des membres de la
couche dirigeante en mal d'indépendance, bien des choses séparaient le paysan qui voulait sa terre et la fin de l'omniprésence de l'Etat, de
l'intellectuel qui voulait pouvoir
écrire, discuter, respirer librement ou de l'ouvrier qui voulait tout cela et un sort meilleur, mais
qui voulait aussi confusément certes, autre chose.
En tout cas, ouvriers, paysans, intellectuels savaient également que leurs aspirations n'avaient de chances de se réaliser que si la dictature féroce cessait et,
comme l'Armée Rouge était
manifestement l'appui principal de la dictature, si cette armée partait.
Les forces sociales et politiques écrasées par le régime, différentes et souvent opposées dans leurs
intérêts lointains, ont trouvé un
dénominateur commun dans leur haine contre les Ràkosi et Cie. et leurs commanditaires ainsi que dans leur aspiration à la liberté, à la démocratie, à
l'indépendance nationale.
DE L'EFFERVESCENCE
A L'ECLATEMENT
La mort de Staline fut un
facteur important dans le déclenchement du processus qui menait à Octobre 1956.
La
dictature féroce maintenue par la bureaucratie russe sur l'appareil d'Etat hongrois et, à travers lui, sur le pays, n'admettait pas le bi- ou tricéphalisme, ni à
Moscou ni à Budapest. Or, à la place
de Staline maître unique il y avait maintenant
plusieurs concurrents au rôle de maître.
La possibilité de choisir à quel maître du Kremlin faire voeu de féal est peut-être un bien maigre droit, mais il comporte la possibilité de choisir, et dans l'affrontement des héritiers de Staline,
bien peu préoccupés de ce qui se passait
en dehors des frontières de l'URSS
et même en dehors des hautes sphères
de l'appareil, la couche dirigeante hongroise avait la possibilité de récupérer une partie de ses
attributs et de prendre dans une
certaine mesure ses distances vis-à-vis de Moscou. Bien sûr, cette couche n'était pas homogène, ni
démocratique. Cet éloignement ne se
manifesta pas comme la conséquence d'un désir unanime, bien plus comme la résultante de la lutte de diverses tendances, de divers hommes. En Hongrie
l'affrontement cristallisait les
hommes autour de deux noms : Ràkosi et Imre Nagy. Peu importe, quel était entre les deux groupes aux démarcations floues et changeantes, le rôle des
oppositions de personnes, des
rivalités d'intérêt (on a vu pendant un temps le policier n°1 du pays, Farkas, se ranger derrière Nagy). Toujours est-il que Imre Nagy est devenu au sein du Parti le symbole du communisme national et libéral, avant de le devenir dans le pays.
La Hongrie fut le premier pays où la direction collégiale à Moscou a entraîné un flottement à la direction du Parti et de l'Etat. On dit que Imre Nagy était soutenu au
Kremlin par Malenkov, alors premier
ministre. En tout cas, après une visite éclair des dignitaires du régime à Moscou, le Comité Central accepta la démission de Ràkosi du poste de Président du Conseil où il fut
remplacé le 4 juillet 1953 par Imre Nagy. Ràkosi garda cependant sa fonction de premier
secrétaire du Parti et le contrôle de l'appareil.
Nous ne nous étendrons pas longuement sur les aléas du conflit Ràkosi-Nagy de 1953 à 1956 avec ses hauts et ses bas, pour l'un et pour l'autre. La chose la plus
importante fut que, pendant sa
présidence au Conseil de 1953 à 1955, Imre Nagy prit une série de mesures, telles le ralentissement de
l'industrialisation forcenée, le
ralentissement du mouvement coopératif, la suppression des camps
d'internement, qui eurent une répercussion considérable après les
années de terreur.
Pour la première fois
l'autorité d'un dirigeant de l'Etat ne reposait plus
exclusivement sur la terreur inspirée par l'armée russe ou par ses hommes de main hongrois de l'AVE, mais sur la sympathie
populaire. Des rangs en apparence unanimes des hauts dignitaires du régime émergeait la figure d'un Gomulka
hongrois.
Outre son passé de ministre de
l'agriculture au moment de la réforme agraire, ses
mesures de 1953
ont fait du stalinien moscovite Imre Nagy un homme populaire, et pour ainsi dire
le seul de ses semblables, en tout cas le seul qui eût
été susceptible de jouer en Hongrie le rôle de Gomulka. Et ceci
d'autant plus, qu'en mars 1955, Ràkosi a momentanément réussi à
reprendre les rênes du pouvoir. Le
Comité Central a destitué Nagy de son
poste, l'a exclu du Politbüro et
du Parti. La disgrâce de Imre Nagy
n'a fait qu'augmenter sa popularité et au cours des mois à venir il est devenu le symbole de l'opposition
à la dictature de Ràkosi.
Nous
arrivons là à l'année cruciale de 1956. En février de cette année eut lieu le
XXe Congrès. Ce n'est certes pas la
dénonciation de Staline qui a sapé l'influence de son plus fidèle lieutenant hongrois - c'est ainsi que Ràkosi aimait s'appeler
- puisqu'un Ulbricht par exemple a traversé sans dommage cette époque
difficile, mais dans la mesure où Ràkosi commençait à perdre le contrôle de l'appareil, ses adversaires pouvaient se prévaloir contre lui des principes
énoncée à Moscou même. Il est vrai
en outre qu'il était du plus haut comique de voir au lendemain du XXe
Congrès Ràkosi tenir des meetings
contre le culte de la personnalité dans des
salles où les organisateurs peu avertis ou croyant bien faire n'avaient pas
enlevé ses statues et ses photos de
toutes tailles et en toutes positions.
Et quand au mois de mars de la même année Ràkosi annonça la réhabilitation de Rajk, en rejettent la
responsabilité de l'exécution de
celui-ci sur ses propres lieutenants, au sein du Parti même on murmurait de plus en plus ouvertement.
Manifestement Ràkosi avait fait
son temps. Lui qui, naguère pouvait faire fusiller quiconque pour un oui ou
pour un non, se faisait publiquement interpeller par des
membres du Parti qui réclamaient sa
démission. Mais il était par trop l'homme
de Moscou et le Parti lui-même aspirait à prendre un peu ses distances par rapport à Moscou. Et, encore une
fois, Ràkosi n'avait plus derrière
lui, comme du temps de Staline, une volonté
unique, et l'opposition, se sentant impunie, s'enhardissait.
Il est
temps de dire quelques mots de cette opposition, dont le rôle fut important pendant mais surtout
avant la Révolution.
Au moment où l'étau de la dictature absolue commençait à se desserrer, tout un courant est né et a grossi au sein du Parti peur réclamer un changement. Ce courant aux
limites indécises, était, composé
de gens fort différents, et quant à leurs convictions et quant à leur sincérité, hormis ceux qui sentaient
déjà le vent tourner et essayaient de se
placer du bon côté, on y trouvait
aussi bien des vieux staliniens que rien ne distinguait de ceux au pouvoir, si ce n'est la rancune des années de prison où les avaient envoyés de sombres
luttes d'appareil, que de jeunes
membres du Parti, de plus en plus conscients du terrible écart entre la propagande et la triste réalité qui n'avait rien de socialiste. Alors qu'une prudence
naturelle caractérisait les
premiers, les seconds furent l'élément moteur de l'opposition.
Partant de leurs critiques
contre Ràkosi, ces jeunes en vinrent à dénoncer le
système policier, la dictature, le manque de libertés, enfin les privilèges monstrueux de certains "camarades". Ils furent les premiers à élever la
voix au nom du socialisme contre ce
régime qui se disait socialiste. Ils furent les premiers à chercher, en tâtonnant,
un chemin vers le socialisme
véritable.
Mais malgré leur bonne volonté et leur courage, les
meilleurs d'entre eux sont restés prisonniers des schémas staliniens qu'on leur
a inculqués. La Hongrie est un Etat ouvrier, on y a installé les conquêtes
fondamentales du socialisme et opéré des transformations historiques, - tels
furent les axiomes sur lesquels ils ont construit leur raisonnement politique,
et basé leur attitude pratique. Et ils furent finalement très conséquents dans
leur inconséquence.
Toute
leur politique était axée sur la libéralisation, la "réforme" du
régime. En schématisant à l'extrême, leur équation politique était la suivante :
socialisme = les transformations "socialistes"
déjà existantes, moins Ràkosi et l'AVH.
Leur revendication principale
: application intégrale en Hongrie
des décisions du XXe
Congrès. Leur symbole : lare Nagy. Leur objectif : retour de Nagy au
pouvoir.
Ils avaient, en fin de compte,
une peur instinctive de l'action des masses et du prolétariat. Ils désiraient
certes ardemment un changement, mais ce changement, ils le
voulaient pacifique. Passionnément attachés à ce qu'ils
considéraient comme des conquêtes socialistes, ils en arrivaient à la
crainte absurde de voir ces conquêtes menacées par une action
révolutionnaire des masses. Conséquence lamentable de l'influence de l'idéologie
stalinienne : ceux-là mêmes qui d'apparence étaient à la
pointe du combat contre le régime, troquaient contre quelques images
idéalisées de ces transformations (qui n'avaient rien de
socialiste), la confiance en le prolétariat.
Quelle qu'ait pu être
l'aspiration de bien des membres de cette opposition à un
socialisme véritable, tous ces jeunes se sont retrouvés en fait
dans le même camp que Imre Nagy, Gomulka ou Tito. C'est à dire
dans le camp de ceux qui représentaient les intérêts de l'Etat
national.
Il ne s'agit pas de mettre en cause la sincérité des
opposants. La plupart d'entre eux serviront de cadres à la Révolution et
mourront sur les barricades, en combattant pour une société
meilleure, socialiste.
Toujours est-il cependant que
ni au sein de l'opposition ni en-dehors, on a vu un groupe
rompre complètement le cordon ombilical avec le
stalinisme et son influence idéologique. On n'a vu
aucun groupe tenter de donner une direction révolutionnaire
bolchévique au prolétariat et le mener résolument à l'assaut de
l'Etat indépendamment de qui, de Ràkosi, de Gerö ou même
de Imre Nagy eût les rênes du pouvoir.
En réalité, tout au long de la révolution,
les intellectuels révolutionnaires auront une longueur de retard sur le prolétariat,
et ils n'auront, en réalité, rien su lui apporter. Ce
sera une des constatations essentielles de cette révolution.
En attendant cet éclatement qu'ils
n'escomptaient ni ne souhaitaient, les opposants menaient un combat résolu
contre Ràkosi. Ils étaient soutenu par la quasi-totalité des
intellectuels, même de ceux auparavant choyés par le régime qui, débarrassés
d'une partie du carcan de jadis, réclamaient maintenant la
liberté d'expression, de presse, d'opinion.
Ces intellectuels ont trouvé leur forum dans le cercle Petöfi
dont les réunions attiraient de plus en plus de monde. Des
queues se formaient devant les marchands de journaux le jour de
parution de la "Gazette Littéraire", publication des intellectuels
anti-rakosistes. Les intellectuels ne se contentent plus de réclamer la liberté
pour l'Art. Ils réclament la liberté tout court. Ràkosi est
incapable d'endiguer le mouvement. L'appareil perd complètement
le contrôle du cercle Petöfi, où le 27 juin 2 000 personnes
venues huèrent et menacèrent les dirigeants du Parti présents.
Dans un dernier effort, Ràkosi fait voter
l'exclusion du Parti de quelques écrivains qui réclament son départ.
Mais c'est son dernier acte.
Il tombe le 17 juillet, remplacé à la tête
du Parti par Gerö.
Victoire pour le moins limitée pour
l'opposition, car Gerö est le bras droit de Ràkosi et par ailleurs il y a
peu de changements. Mais dans les conditions de l'époque, c'est une victoire morale
considérable.
Le pays
se tait encore, mais il a les yeux tournés vers ses
intellectuels, à qui on attribue la chute du dictateur.
Et le 6 octobre, lorsque le Parti organise
les obsèques solennelles de Rajk, pendu et jeté dans la fosse
commune en 1949, réhabilité quelques
mois auparavant par ses anciens tortionnaires,
plus de 100 000 personnes sont présentes. C'est une manifestation
silencieuse contre le régime.
Quatorze
jours plus tard, c'est l'Octobre Polonais. Le 20 et le 21
octobre, les ouvriers et les étudiants de Varsovie imposent le gouvernement de leur choix. Moscou
cède et admet l'élimination de son
homme Rokossovsky de la direction du Parti et de l'Etat. Gomulka, encore en prison deux mois auparavant,
arrive au pouvoir.
Ces
nouvelles arrivent à Budapest le 22. Mais déjà l'effervescence a dépassé les limites malgré tout étroites de l'Opposition et des cercles d'intellectuels. Elle s'est
propagée en milieu étudiant et y a
trouvé une nouvelle ampleur. Dans les universités,
les meetings succèdent aux meetings, et rapidement les revendications de l'Opposition sont dépassées.
Les étudiants prennent en main la
Jeunesse Communiste Universitaire en y organisant des élections démocratiques. Et le 22 au soir, au meeting des étudiants de Budapest sont rédigés les
célèbres "16 points" où
pour la première fois un programme clair et précis est formulé.
Ce
programme sera celui de l'insurrection dans sa première phase. On y réclame
notamment :
— le
retrait des troupes soviétiques et la publication des accords commerciaux et du paiement de
réparations à l'URSS,
— Imre
Nagy à la tête du gouvernement et l'organisation
d'un procès public pour juger Ràkosi,
— La
révision des normes de travail pour les ouvriers et la reconnaissance du droit de grève,
— la
révision du système des livraisons obligatoires pour les paysans.
En résumé : liberté,
indépendance, démocratie.
Les nouvelles parvenues de Pologne prouvent
qu'il est possible de faire céder les bureaucrates soviétiques.
Un immense enthousiasme se manifeste
envers les Polonais. Le
Cercle Petöfi décide d'organiser le lendemain une
manifestation de solidarité avec la Pologne.
Cette manifestation est
autorisée d'abord, puis interdite, puis à nouveau
autorisée. Mais elle ne dépend plus de l'autorisation. Le lendemain des dizaines de milliers d'étudiants, de jeunes, remplissent les rues.
Et avec la fin de la journée de travail, des
dizaines de milliers d'ouvriers s'y joignent. Vers la fin de l'après-midi ce n'est plus une
manifestation d'étudiants. Des
centaines de milliers de personnes sont dans les rues : c'est Budapest toute entière qui se manifeste.
Les mots d'ordre se radicalisent :
"Imre Nagy au pouvoir ! ", "Russes à la porte !",
"Grève générale !".
La circulation est bloquée. Les chauffeurs
de bus et les traminots se joignent aux manifestants. Le cortège
se rend devant le parlement et
réclame Imre Nagy, qui ne paraît pas. Et lorsqu'il paraît, plusieurs heures après, tout ce qu'il peut dire
semble tiède à la foule.
La nouvelle se propage que Gerö, premier
secrétaire haï du Parti, de retour à Budapest en provenance de
Belgrade, va parler à la radio. Un
enthousiasme indescriptible s'empare des manifestants. Le déroulement de leur lutte est analogue à ce qui s'est passé à Varsovie. On est sûr que Gerö
va démissionner, comme Rokossovsky.
Le discours de Gerö est cependant une
véritable provocation. Les manifestants qui, au cours de cet après-midi ont
pris conscience de leur force, s'entendent traiter de "canaille
fasciste". C'est l'épreuve de force, et le peuple cette fois-ci n'entend
plus céder. Deux mots d'ordre naissent au sein de la foule :
"A la statue de Staline !
" et "A la radio ! ".
Pour abattre le symbole haï du
régime. Pour se faire entendre par le pays tout entier.
Une partie du cortège s'attaque
à l'énorme statue de
Staline qui domine la ville. Une immense
clameur salue l'instant où la statue
s'ébranle et s'écrase à terre. On s'attaque à la dépouille, chacun en veut un morceau. Pendant ce temps, une autre partie des manifestants s'engouffre
dans l'étroite rue où se trouve
l'immeuble de la radio. Une délégation rentre dans l'immeuble pour y lire les "16 points". Elle ne ressort
pas, et les "16 points" ne sont
pas lus. Les manifestants s'attaquent
à la porte. Rafale de mitrailleuses, les AVH postés dans le bâtiment tirent. Des dizaines de
manifestants s'écroulent :
premières victimes de la journée. Le bruit se répand à la vitesse de l'éclair : "l'AVH assassine
les nôtres!" De nouveaux
détachements de manifestants arrivent continuellement. Un camion de soldats apparaît à l'entrée de la
rue. Les manifestants attendent
anxieusement leur réaction. De quel côté sont-ils ? L'officier ne donne aucun ordre contre les manifestants. Et après qu'une rafale de mitrailleuse
parvint du bâtiment en direction du
camion, les soldats commencent à glisser
leurs armes dans les mains des manifestants.
Ce
n'est plus une manifestation pacifique. C'est déjà l'insurrection armée !
LA
REVOLUTION
Au cours de la nuit du 23 au 24
octobre, la révolution se
propage dans la ville. Un peu partout des
comités révolutionnaires se forment,
et essayent d'organiser le combat.
L'armée hongroise fond dans le
brasier de la révolution.
Les unités se dissolvent, les casernes
s'ouvrent, les soldats donnent leurs
armes aux insurgés ou passent à l'insurrection. Les principaux piliers de l'appareil d'Etat s'écroulent en l'espace de quelques heures. Le Comité Central
délibère toute la nuit. Il prend deux
décisions importantes. La première est de former un gouvernement dirigé par Imre Nagy. La deuxième est de faire appel, au nom de ce gouvernement, aux
troupes soviétiques.
Le 24 octobre, à 4 h du matin, les premières
unités blindées envahissent la capitale. Un combat à mort
commence entre l'AVH et les
soviétiques d'une part, le peuple en armes de l'autre.
Ce jour-là, les usines arrêtent
de tourner, c'est la grève générale. Les premières milices ouvrières se
forment dans les usines. En camion, à
pied, des milliers d'ouvriers de banlieue convergent vers les lieux de
combat.
Le
peuple apprend à combattre. Comment manier les mitrailleuses
cédées par les soldats. Comment neutraliser les chars à l'aide de moyens primitifs, cocktails Molotov,
tapis de pavés car les armes lourdes
manquent. Comment s'organiser surtout, car l'organisation manque cruellement, et il n'existe aucun lien entre les groupes combattants.
Le 24 et le 25 sont des
journées de combat.
Toute la haine accumulée pendant 10 ans éclate, et
l'enthousiasme, et l'esprit de
sacrifice pour un avenir meilleur compensent l'infériorité de
l'armement.
Le gouvernement, dirigé cette
fois-ci par Imre Nagy qu'on dit prisonnier de Gerö, est
complètement affolé. Il passe des menaces
aux prières. Imre Nagy supplie les insurgés à la radio afin qu"'ils ne
perdent pas la tête". Il n'est pas le seul. Après
lui les représentants d'anciens partis interdits en 47-48, des hommes d'Eglise, des responsables
syndicaux défilent pêle-mêle au
micro, pour appeler au calme. On menace de châtiment tous ceux qui ne se rendent pas, et on promet le pardon total et l'amnistie à ceux qui le feront. On fixe
des "derniers" délais pour
la reddition qu'on repousse, d'heure en heure. Obligation est faite aux propriétaires de radio de mettre leur appareil aux fenêtres, afin que les combattants
puissent entendre les appels.
Pendant que, du haut des fenêtres, les radios hurlaient que les derniers groupes d'émeutiers sont en train de se rendre, en bas, dans la rue, les insurgés
gagnent du terrain.
En fait, petit à petit,
l'enthousiasme de la révolution l'emporte. Les troupes
hongroises ne sont jamais intervenues contre
l'insurrection, La police est restée neutre, à quelques exceptions près. Quant aux soldats russes de cette
première intervention, à qui on a
raconté qu'il s'agit d'une émeute fasciste, ils stationnaient depuis trop longtemps dans le pays, ils connaissaient trop bien la population pour y
croire. Leur moral au combat est
bas, et souvent ils l'évitent, ce combat. Et même, par endroits, ils fraternisent et se mettent du
côté des insurgés.
L'ennemi principal est dès lors
l'AVH. Mais elle a craqué
sous la poussée des masses. Il n'en reste
plus que des débris, qui, regroupés
par endroits, se signalent par une résistance farouche, et par des massacres sanglants, celui par exemple du Parlement, où plusieurs centaines de manifestants
pacifiques en sont victimes.
Entre le 25 et le 26, l'insurrection
franchit une sorte d'étape. Le 25 au
soir, Gerö démissionne de son poste de premier secrétaire, remplacé par Jànos Kàdàr. Ce dernier, malgré son rôle plus qu'équivoque pendant le procès Rajk
- il était à l'époque Ministre de
l'Intérieur -, bénéficie d'une certaine sympathie en raison des années passées dans les prisons de
Ràkosi.
Ce même
jour, pour la première fois on ne parle plus à la radio d"'émeutiers",
mais de "jeunes patriotes".
Le gouvernement d'Imre Nagy semble - très
timidement certes - légitimer cette insurrection. Tout au moins la phase passée
de l'insurrection, car même tout au long des journées qui vont suivre, le
gouvernement continue à appeler à la cessation des combats. Tout en s'inclinant
devant le combat d'hier, il s'oppose à celui d'aujourd'hui. Il pourrait
paraître absurde de voir ce gouvernement d'Imre Nagy s'élever contre une
insurrection qui s'est déclenchée en son nom et dont il est devenu, bien malgré
lui, le symbole. Mais Imre Nagy n'a jamais été le dirigeant de la
révolution, il la craignait, il en avait peur. Il était un dirigeant mis en
place par la révolution, et ce n'est pas du tout pareil. Tant politiquement
que socialement, Imre Nagy représentait en Hongrie les mêmes forces que Gomulka
en Pologne. Son arrivée au pouvoir - tout comme l'arrivée au pouvoir de Gomulka
- exprimait le fait que l'Etat national avait repris ses attributs et avait
rompu avec la bureaucratie du Kremlin.
La grande différence entre la
Pologne et la Hongrie fut cependant que les représentants de
l'Etat national polonais ont réussi à endiguer
le mouvement populaire à leur profit. Jouant une partie difficile entre le
peuple prêt à prendre les armes et
la bureaucratie russe prête à mobiliser ses troupes, ils ont réussi à neutraliser l'un des dangers par la
menace de l'autre. D'une part, en
l'absence d'un parti révolutionnaire, le prolétariat polonais n'a pas vu d'autre perspective que Gomulka, d'autre part la bureaucratie russe a préféré
reculer devant Gomulka en
choisissant de perdre le contrôle de l'appareil d'Etat polonais, plutôt que de voir se déclencher
une révolution populaire.
En Hongrie, les Gomulka hongrois n'ont pas réussi à endiguer le mouvement populaire. Car si la plupart
des mots d'ordre de l'insurrection
dans sa première phase auraient fort bien pu convenir à Imre Nagy, comme à l'ensemble de l'appareil d'Etat national, le peuple ne faisait confiance à
quiconque, et tenait lui-même à
conquérir l'indépendance nationale, la liberté et la démocratie, les armes à la main. Le radicalisme,
sinon la conscience politique des
masses, a dépassé ce qu'auraient pu souhaiter les Gomulka hongrois. Et au cours de ce combat pour l'indépendance et
pour les liberté démocratiques, le prolétariat, qui en était l'élément moteur,
a formé ses propres organes de pouvoir : les conseils ouvriers ou les soviets. Ces
conseils avaient beau soutenir - de plus en plus conditionnellement d'ailleurs
- le gouvernement Imre Nagy, ils représentaient l'embryon d'un autre
pouvoir, faisant concurrence à celui du gouvernement en place. C'était donc
déjà le double pouvoir en gestation.
La classe ouvrière est donc entrée au combat aux côtés
des autres couches pour conquérir la liberté et l'indépendance, mais elle
prenait de plus en plus conscience de ses intérêts propres.
Si ce double pouvoir n'a pas pu se manifester d'une façon
plus éclatante, cela est de principalement à deux raisons : l'une objective,
l'autre subjective.
La raison objective est que l'intervention russe a donné
à l'insurrection un aspect national. Tout le passé a prouvé ce que cette
intervention a encore confirmé : l'armée russe était le principal soutien du
régime haï. A qui se heurtaient ceux qui réclamaient qui un gouvernement
démocratique, qui les libertés civiques, qui la baisse des normes, qui la fin
de la collectivisation forcée ? A l'armée soviétique, chaque fois à l'armée
soviétique. Il était clair pour le moins conscient des combattants, que le
départ des troupes soviétiques était la condition de la consolidation de la
moindre des conquêtes. La nécessité de combattre avant tout les troupes
d'intervention a crée une certaine unanimité nationale qui masquait les
oppositions sociales.
Imre Nagy, malgré sa politique timorée vis-à-vis des
russes s'est trouvé le symbole de cette unanimité nationale et c'est en tant
que tel qu'il a eu une autorité morale même sur les conseils. Et, il faut
l'ajouter, la deuxième intervention des troupes soviétiques n'a pas laissé le
temps aux deux pôles du double pouvoir de se différencier. Ou, plus exactement,
la différenciation se fera sous le gouvernement de Kàdàr, protégé par les
russes.
L'opposition de classe entre les conseils et le
gouvernement n'a pas éclaté pour une autre raison, subjective celle-ci :
l'absence d'un parti révolutionnaire. Car si la classe ouvrière hongroise a
fait le maximum de ce qu'elle pouvait faire d'une manière spontanée en créant
ses organes de pouvoir, les conseils, encore fallait-il un parti
révolutionnaire pour que la classe ouvrière impose ses conseils comme organe
unique du pouvoir. N'oublions pas que si en Russie en 1917 les soviets existaient
dès février, il a fallu une lutte de 7 mois du parti bolchevik pour que les
soviets reconnaissent leur rôle et prennent le pouvoir.
En Hongrie, même les groupes d'opposants les plus
extrémistes faisaient, en fait, confiance à Nagy, et essayaient de concilier le
gouvernement et les conseils.
Cependant, malgré tous les facteurs qui jouaient dans le
sens de l'unanimité nationale, malgré l'absence de parti révolutionnaire, il
n'en reste pas moins que les lignes de force de la révolution ne partaient pas
de deux pôles mais de trois. Il y avait les tenants de l'appareil d'Etat
national, qui voulaient, à l'instar de Gomulka, canaliser l'insurrection
populaire pour se débarrasser de la tutelle de Moscou, il y avait le prolétariat
avec ses organes de classe, les conseils, unis pour l'instant dans le même
combat contre la bureaucratie soviétique et ses hommes de main hongrois.
C'est la composition et l'interaction des lignes de
forces parties de ces trois pôles qui donnent à chaque étape de la révolution
sa singularité.
Après le tournant du gouvernement le 25, où celui-ci
légitimait l'insurrection, les combats n'ont pas cessé, malgré les injonctions
de Imre Nagy. Ils ne cesseront que le 29. Pendant toute cette période, la
révolution s'organise.
Les conseils ouvriers naissent dans le feu du combat.
C'est la grève générale, mais la majorité des ouvriers est dans les usines.
Dans les réunions démocratiques, les travailleurs élisent ceux d'entre eux en
qui ils ont le plus confiance. Les conseils ainsi créés prennent en main la
gestion des usines. Ils entreprennent de réorganiser l'appareil de production,
ils suppriment les normes, augmentent les salaires, réduisent la hiérarchie des
salaires.
Pour se donner les moyens d'agir, ils organisent des
milices ouvrières, ils les arment. Ces milices gardent l'usine et participent
aux combats de rue de leur quartier.
Dans certains endroits, dans la plupart des villes
industrielles de la province, les conseils en arrivent très rapidement à se
fédérer et à envoyer des délégués au Conseil Central de la ville. L'autorité de
ces conseils s'étend souvent à toute la région, où ils remplacent
l'administration en débandade, ils assurent le fonctionnement des services
publics et le ravitaillement.
C'est ainsi que le Conseil de Miskolc, région industrielle
importante, prend le contrôle de tout un département, s'adresse au pays tout
entier par l'intermédiaire de Radio-Miskolc, traite d'égal à égal aussi bien
avec le gouvernement d'Imre Nagy qu'avec le commandement soviétique local.
Ces conseils réclament tous le retrait de l'armée
soviétique, l'épuration du gouvernement de ses éléments ràkosistes, le droit de
grève, la liberté syndicale, la reconnaissance des conseils. Ils s'opposent
aussi bien à tout retour du régime de Ràkosi qu'à celui de Horthy.
II faut cependant remarquer que pendant toute cette
période, les villes industrielles de province mises à part, les conseils
limitent leurs activités à leur usine et à leur quartier. Ceci est surtout vrai
au coeur du combat à Budapest. Ainsi, de plus en plus puissants pourtant, les
conseils laissent la direction politique du pays au gouvernement Imre Nagy, Ils
se contentent de faire pression sur lui, pression puissante et souvent
efficace, mais ils ne contestent pas son rôle.
En résumé, le prolétariat armé, organisé dans ses
conseils est l'élément dominant de la révolution. Mais il lui manque une
direction perspicace, il lui manque le parti révolutionnaire.
Le gouvernement de son côté, cherche à se consolider.
Manquant pour ainsi dire de force propre, il cherche à s'en faire en
consolidant l'unité nationale. C'est dans ce cadre qu'il cherche à élargir sa
représentativité en faisant appel à certains représentants des partis interdits
en 1947 - 1948. Deux anciens membres de l'ex-parti des Petits-Propriétaires
rentrent dans le deuxième gouvernement Imre Nagy constitué le 27 octobre, puis
d'autres politiciens après la reconstitution des anciens partis à partir du 30
octobre.
Les partis constitués à cette date là ne représentent
dans bien des cas personne en dehors de leurs fondateurs. Mais, ils s'agitent,
font proclamations sur proclamations, jurent fidélité à la révolution, et
déclament leurs convictions socialistes. Et les hommes politiques écartés en
1947 - 1948 cherchent à retrouver leur place au sein de cet appareil d'Etat,
qu'ils estiment à aussi juste titre le leur, qu'un Imre Nagy ou un Kàdàr.
Il y a un monde qui sépare ce grouillement d'hommes
autour des postes dirigeants, et le calme puissant de la classe ouvrière,
détentrice de la force véritable, et qui les considère avec méfiance.
Par ailleurs, la révolution généreuse, en ouvrant les
portes des prisons, les a ouvertes à tout le monde. Y compris à des Mindszenty,
y compris à des éléments réactionnaires.
De toute manière, une insurrection en faisant sauter ou
en affaiblissant l'appareil d'Etat met à nu le libre jeu des forces sociales
que rien ne comprime. Quelques éléments réactionnaires purent se manifester. En
ce sens, la situation était ouverte, comme dans toute insurrection, d'ailleurs.
Mais la classe ouvrière était puissante, armée et organisée. Elle était la
force la plus importante de l'insurrection. Elle n'avait certes pas besoin de
tuteur pour se défendre contre quelques groupes réactionnaires.
Malgré les incertitudes de l'avenir, malgré le fait que
la révolution sociale venait seulement de commencer, le pays était en euphorie.
Le 31 octobre en effet, les Russes acceptent d'évacuer la capitale.
L'insurrection semble avoir atteint ses premiers objectifs : les troupes
d'occupation partent, le régime haï de Ràkosi n'est plus, l'AVH est disloqué,
les ouvriers ont pris en main les usines et la liberté la plus totale est
garantie par la population en armes. On commence à déblayer les ruines, à
enterrer les morts. L'euphorie est à peine entamée par les nouvelles en
provenance des viles de l'Est qui font état du passage de la frontière, à
cadence régulière, par des troupes soviétiques fraîches.
Une extraordinaire atmosphère de liberté règne dans les
rues. La population est dehors, mesure les dégâts et fait des projets d'avenir.
Une multitude de feuilles ronéotypées, des journaux de toutes sortes sont
distribués, on les lit, on les commente. Pour la première fois depuis 10 ans de
silence, tout le monde peut s'exprimer et tout le monde en profite.
Dans les usines les conseils ouvriers délibèrent,
prépa¬rent la reprise du travail. Ils ont maintenant la charge des usines et
pour la première fois il leur semble que les affiches qui restent encore ça et
là du régime Ràkosi disent vrai : "L'usine t'appartient". La plupart
des conseils d'usine de la capitale décident la fin de la grève et la reprise
du travail pour le lundi 5 novembre.
Au niveau des partis et de la direction de l'Etat la même
effervescence règne. Le parti stalinien, qui a pratiquement éclaté pendant la
révolution, et qui, dans de nombreux endroits a été interdit par les conseils
ouvriers se met à faire peau neuve. Proclamant rompre pour toujours avec les
crimes du passé, ses éléments qui se sont mis du côté de l'insurrection,
déci¬dent de fonder un parti neuf : le Parti Socialiste Ouvrier. Rejetant les
éléments ràkosistes, le nouveau parti est fondé sous la direction de Nagy, de
Kàdàr et de Georgas Lukàcs. Son présidium ne compte que des militants
persécutés sous Ràkosi. Le 3 novembre un troisième gouvernement Nagy se forme
où ne participent plus que trois membres du P.C. : Mare Nagy, Kàdàr et Maleter,
jeune colonel qui s'est mis avec son unité du côté de l'insurrection et en est
devenu le chef militaire.
Ce gouvernement engage les pourparlers avec les Russes au
sujet de l'évacuation des troupes. Dans la journée du samedi, première entrevue
entre le commandement russe et Maléter à Budapest. Des nouvelles optimistes en
sortent : le retrait des troupes soviétiques n'est plus qu'une question technique.
La deuxième partie de l'entrevue doit se dérouler à la base sovié¬tique de
Tököly. Maléter s'y rend la nuit du 3 au 4 novembre.
Il est arrêté en plein milieu des négociations. Et le
lendemain, le dimanche 4 novembre au petit matin, Budapest se réveille au bruit
des canons. 200 000 soldats de l'armée soviétique avec 2 000 chars, appuyés par
l'aviation envahissent la capitale et les principales villes industrielles. La
bureaucratie russe a décidé d'écraser la révolution.
LA DEFAITE
Malgré
l'énorme machine de guerre russe, les combats durent près
de 15 jours. La force prédominante du prolétariat dans la révolution apparaît éclatante cette
fois-ci. Les usines, les centres
industriels sont les derniers à se rendre. Alors que Budapest est déjà occupée, ratissée, le rouge de l'incendie au bas du ciel vers le sud montre que l'énorme
complexe industriel de Csepel avec
ses soixante dix mille métallos résiste encore. Les ouvriers se sont retranchés dans les usines qu'il faut réoccuper bâtiment par bâtiment.
En
province, c'est pareil. De Miskolc à Pécs, villes industrielles,
centres miniers sont autant de bastions de la révolution. Sztàlinvàros, "ville de Staline", ville
industrielle récente créée de
toute pièce par la politique d'industrialisation de Ràkosi,
ville des plus grands hauts-fourneaux hongrois, ville ces ouvriers d'élite, résiste le 7 novembre encore et le Conseil Ouvrier s'adresse ainsi aux soldats
russes à l'occasion de
l'anniversaire de la Révolution de 1917 :
"Soldats. Votre Etat a été crée au prix d'un combat
sanglant pour que vous, vous ayez votre liberté. Pourquoi vouloir "écraser notre liberté à nous ? Vous pouvez voir de vos yeux
"que ce ne sont pas les patrons
d'usine, ni les gros propriétaires,
ni les bourgeois qui ont pris les armes contre vous, "mais
que c'est le peuple
hongrois qui combat désespérément "pour les
mêmes droits pour lesquels vous avez, vous, lutté en 1917."
Mais la bureaucratie
instruite par la défection des premières troupes
d'intervention, a mobilisé cette fois des soldats originaires de la partie asiatique de l'URSS. Une barrière linguistique limite les possibilités de
propagande.
Vers le 15 novembre, le pays est militairement vaincu. Budapest est en ruine, il y a plusieurs dizaines de milliers de victimes, et avec les déportations la
répression commence.
A
Budapest les russes installent un gouvernement fantoche. Le même Kàdàr qui a remplacé Gerö au poste de premier secrétaire du
parti, qui deux jours plus tôt était encore un des trois membres du P.C. du gouvernement et qui à ce titre
pérorait sur sa fidélité à la
glorieuse révolution, après avoir disparu de Budapest, revenait dans les traces des chars soviétiques comme président d'un conseil de ministres créé par les
Russes. Il parlait encore d'une
insurrection justifiée, mais dénaturée par les contre-révolutionnaires. Mais la contre-révolution, c'était lui, Kàdàr et ses commanditaires moscovites.
Pourtant,
malgré la défaite militaire, la classe ouvrière n'a pas abandonné
le combat. Cette fois-ci, après l'écroulement du gouvernement Nagy, une seule force organisée s'oppose au gouvernement Kàdàr soutenu par les chars russes :
les Conseils Ouvriers.
La
défaite militaire qui a entraîné la disparition de la quasi totalité des partis et des organes créés par la révolution n'a pas brisé la classe ouvrière. Celle-ci
manifeste au contraire pendant près
de deux mois encore une extraordinaire combativité
et devient face aux troupes russes le seul défenseur du programme de la révolution.
La grève générale est reprise le 4 novembre et elle sera une des plus longues de l'histoire du mouvement ouvrier. La résistance armée n'est plus possible, alors la
classe ouvrière utilise la seule arme qu'elle possède : la grève.
Le
gouvernement alterne menaces et supplications, rien n'y fait et rien ne tourne pendant des semaines. Si l'armée russe est assez puissante pour garantir
l'existence du gouvernement Kàdàr,
elle ne l'est pas pour obliger les ouvriers un par un à aller au travail.
Non seulement le prolétariat
résiste, mais il consolide et renforce ses organes de
classe. Les conseils des usines de Budapest
renforcent leurs liens pour aboutir le 14 novembre à la formation du Conseil Central Ouvrier de
Budapest. Ce Conseil présidé par le
jeune ouvrier outilleur de 23 ans, Ràcz Sàndor, se considère comme le représentant et le porte-parole unique de la classe ouvrière et est reconnu comme tel
par le prolétariat. Quoiqu'il ne
réclame toujours pas le pouvoir pour lui-même,
il a cette fois-ci un rôle
essentiellement politique : contre
le gouvernement Kàdàr et son soutien, l'armée russe, il est l'organe représentatif de la révolution.
Le Conseil Central est conscient de l'inégalité des
forces, il est prêt à faire preuve de modération, mais
pas au delà des revendications dont
la satisfaction lui semble nécessaire telles "que :
-
Rétablissement
d'Imre Nagy comme Premier Ministre
-
Evacuation
des troupes soviétiques
-
La reconnaissance des Conseils Ouvriers et leur droit à prendre les usines comme
propriété collective
-
Reconnaissance
du droit de grève
-
Participation des milices d'ouvriers aux services de sécurité.
Kàdàr est incapable de briser
la résistance de la classe ouvrière, et par conséquent
ses conseils. Il commence donc d'abord
à traiter avec eux. Ajoutons que nous sommes encore loin du moment où l'on parle de contre-révolution
fasciste. Kàdàr se dit président du
"gouvernement révolutionnaire ouvrier et paysan" et parle du 23 octobre comme d'un mouvement populaire
justifié, et il se dit même l'émanation de
l'insurrection. Les ouvriers le
traitent avec mépris. La politique de Kàdàr consiste à gagner du temps et à reléguer petit à petit
les Conseils Ouvriers au rôle
d'organes de gestion des usines, avant de les supprimer définitivement.
Il faut dire que le temps joue pour lui. D'abord, parce qu'après la défaite militaire, la grève ne peut être qu'un combat
d'arrière-garde et ne peut déboucher sur
une victoire. Ensuite, parce qu'on
était déjà en décembre, l'hiver hongrois rigoureux était commencé, le ravitaillement se faisait mal,
on avait froid, on avait faim. La
classe ouvrière résiste encore pour garder sa dignité, mais ne croit plus en la possibilité de la victoire. Dans certains secteurs les reprises du travail
s'amorcent.
Le gouvernement passe à
l'attaque début décembre. Il arrête plusieurs centaines de
membres des conseils. Les journaux gouvernementaux
attaquent le Conseil Central qui, disent ces journaux, veut construire un nouveau pouvoir opposé au gouvernement
légitime.
Le Conseil Central riposte en décrétant la grève générale pour les 11 et 12 décembre. Le gouvernement réplique en proclamant la loi martiale et en interdisant les
conseils ouvriers.
La
classe ouvrière a encore la force de réagir unanimement le
11 et le 12. Ces deux jours là, la grève est encore totale. Mais déjà Ràcz et Bali, deux dirigeants du Conseil Central sont arrêtés et le répression frappe. Les
conseils sont dissouts par la police,
leurs membres traqués.
La
production ne reprend complètement que vers la fin janvier - début février 1957. Quelques maquis survivent encore. Mais la révolution est cette fois-ci bien
écrasée.
CONCLUSION
La révolution du
prolétariat hongrois a été défaite. Défaite, bien sûr
en premier lieu, car le rapport des forces internationales lui a été défavorable. Mais aussi, car alors que chacun des autres protagonistes possédait un
allié, qui en la bureaucratie russe,
qui en l'impérialisme, le prolétariat, s'il a eu lui aussi un
allié potentiel en le prolétariat mondial, ne possédait aucune organisation, ni nationale, ni internationale pour rendre cette alliance effective et
agissante. Néanmoins la signification
d'Octobre 1956 dépasse les limites de la Hongrie.
Car malgré l'aspect national qui fut imposé par les circonstances aussi bien que par l'absence d'un parti révolutionnaire capable de lutter contre cet aspect, le
prolétariat hongrois a eu tout au
long de la lutte une conscience de classe
remarquable. Il ne s'est jamais dissout dans l'unité nationale, au
contraire même, il a constamment perfectionné et renforcé ses organes de
classe.
Bien sûr aujourd'hui n'importe qui peut se
réclamer de la révolution hongroise. Que même les fascistes
puissent fêter 1956 est aussi
l'image d'un certain rapport de forces dû à la répression de la bureaucratie, qui a fait taire ceux
précisément à qui revenait de
défendre leur révolution contre les fascistes.
En écrasant la Révolution hongroise, la
bureaucratie a gagné dix ans de répit et peut-être plus. Budapest
était aussi un avertissement au
prolétariat de l'Europe Centrale toute entière, qui n'aurait pas tardé à suivre
la voie montrée par la classe ouvrière hongroise.
Ce faisant elle n'a cependant pas
sauvegardé son contrôle
absolu sur les pays du glacis. On a vu
depuis 1956 les états nationaux du
glacis rompre un à un avec l'URSS en fait. La Pologne d'abord, puis l'Albanie, puis la Roumanie. Et les
autres suivront, c'est dans la nature
bourgeoise de ces états.
Mais il y a perdre et perdre. La
bureaucratie a fait un
choix conscient en s'opposant à la
possibilité d'un éclatement révolutionnaire
en Europe Centrale. Quitte à perdre son contrôle sur ces pays, elle préfère les abandonner à des Etats bourgeois. Voilà la signification de la différence
entre son attitude envers la
Pologne de Gomulka et son attitude envers la Hongrie de la révolution. La bureaucratie a agi en 1956 dans le même sens exactement qu'en 1944 - 45. En ce
faisant, elle a d'ailleurs agi
contre l'intérêt de l'URSS elle-même. Car elle a modifié le rapport des forces entre le prolétariat mondial et l'impérialisme, en défaveur du prolétariat, et
elle a contribué à la formation, à
terme, d'une ceinture d'Etats bourgeois
hostiles.
Le prolétariat des pays
du Glacis se tait aujourd'hui. Tout comme avant les
explosions de Berlin-Est, de Poznan, de Varsovie ou de Budapest. Malgré les répressions et la terreur policière, il a sauvegardé cependant son potentiel
de combat, sa conscience de classe.
Et déjà une nouvelle génération
se lève. Les jeunes révolutionnaires polonais Kuron et Modzelewsky emprisonnés
par la police de Gomulka écrivent dans leur "Lettre
ouverte au Parti Ouvrier
Polonais" : "Le souvenir de Poznan et de Budapest reste vivant dans notre mémoire". Cette génération
saura tirer des leçons des défaites
elles-mêmes.
Mais il faut qu'ils trouvent leur place dans une organisation
révolutionnaire mondiale qui a si cruellement manqué au prolétariat hongrois et qui manque encore aujourd'hui.
Notre tâche
est de contribuer à sa construction afin qu'aux prochains combats, le
prolétariat ait toutes les chances de son côté.